The Beatles : Into the White

Charles Manson et ses excités qui se Tatent au son d’ « Helter Skelter » les Fabs qui découvrent la méditation améliorée avec Maharishi Mahesh Yogi… Toutes ces anecdotes millésimées, il est préférable de les évacuer pour appréhender correctement cet album complexe. Le folklore qui entourait les Quatre Fantastiques à cette époque semble avoir largement occulté les qualités de ce disque qui vaut finalement mieux que sa réputation: glorieusement imparfait, bariolé et étonnamment moderne, c’est un passage important pour le groupe qui recèle quelques perles.

Vrai, l’ambiance délétère voit naître des aspirations de plus en plus hétéroclites. Le groupe devient multi-directionnel, au gré des marottes du moment de chacun de ses membres: c’est davantage le disque de 4 individualités que celui d’un groupe qui est en gestation, une auberge espanole mal fondée, et dont les murs tremblent lorsque le groupe essaie de se retrouver. « Helter Skelter », « birthday », montrent que le groupe a lorgné sur la concurrence et cherche à sonner lourd et criard… Les aspirations psychédéliques de Revolver ont évolué vers des expérimentations quasi dadaïste (« Revolution 9 ») qui laissent perplexe, les comptines regressives et agaçantes (« Obla-di Obla-da ») prolifèrent, accolées à hommages musicaux populaires très appuyés qui dépassent rarement l’exercice de style (« Back in USSR », « Rocky Rackoon »). Les intermèdes simplifiés aux arrangements acides et crispants (« Wild Honey Pie », « why don’t we do it in the road », « don’t pass me by »…) grenouillent dans ce curieux brouet. Clapton passait par là, et en profite pour plomber l’aberrant « While my Guitar Gently wheeps », jam lancinante aiguillonée par un solo totalement béat: impression de laisser-aller total, auto-complaisance patente face à des pièces musicales souvent inabouties, chargées, et parfois totalement anecdotiques.

Mais à côté de cela, l’album atteint des sommets de raffinement épuré et de créativité moderniste. Le fantastique « Dear Prudence » nous transporte: vocaux aigre-doux, arpèges perlés et radieux pour un climax crépusculaire: beau, pur et atemporel, ce morceau figure parmi les grands chef d’oeuvres de la pop music. « Happiness is a warm gun » sort également du lot, collage musical arty et totalement pertinent. La Bande originale d’un film encore à réaliser, sauf que la musique est ici tellement évocatrice que parler de film sonore conviendrait davantage pour décrire cette oeuvre panoramique. « Black Bird », « Sexy Sadie » et « Julia » rayonnent dans leur dépouillement acoustique. « Every body’s got something to hide », superbement repris par les Feelies, éclabousse et surprend avec son tempo échevelé: Big Star prendrait note de la recette. Que les instantanés format pop des débuts sont loins…

D’ou vient le charme de ce disque si inégal, pourquoi s’y repenche-t-on avec délectation malgré ses vraies longueurs ? Peut-être parce qu’en musique tout n’est pas affaire de comptabilité, et que cet album Blanc nous présente un visage nouveau qui touche; désabusée, vengeresse ou endolorie, l’écriture s’est rapprochée de la contrition qui prévaut désormais, loin du parangon de droiture pop lissée qu’incarnait le groupe. Cet album est escarpé là ou la plupart des disques des Beatles visent la fluidité des contours. C’est la jouissance des traits qui bavent face à la ligne claire, la crise d’adolescence tardive, tourmentée et ingrate mais parfois géniale, qui marque finalement au moins autant dans ses fulgurances que le reste d’une existence artistique légèrement ennuyeuse de perfection.

Comments
2 Responses to “The Beatles : Into the White”
  1. shazz78 dit :

    mouais … réduire ce double album à quelques perles de Lennon (excepté Blackbird) est un peu court.
    Et Mother Nature’s Son ?
    C’est justement ce collage génial qui fait de ce double la matrice de tous les futurs grands albums pop qui suivront. Et des premiers albums solo des Beatles séparés (sauf Ringo of course).
    Bref, une bien mauvaise analyse de ce chef d’oeuvre.

    • remo986 dit :

      Le moins qu’on puisse dire est que chacun voit midi à sa porte, ce qui ne me pose aucun problème d’ailleurs. Mother nature’s son ne me fait ni chaud ni froid, de plus je serais intéressé de savoir quels sont précisément les grands albums pop que tu mentionnes (pour moi l’essentiel en est paru avant 70). Quand bien même, le caractère séminal d’un album n’en fait pas systématiquement un chef-d’oeuvre; ici il ne suffit pas à pallier la qualité fluctuante des compositions que je trouve pour une bonne moitié très paresseuses (surtout au regard de ce que les Beatles sont capables de faire en matière de concision pop) et inutilement alourdies. Mais le reste de l’album est extrêmement intéressant dans ce qu’il propose.

      A bientôt,

      Rémi

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